La laide
- lesplumesdupasse
- il y a 6 jours
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Un roman publié en 1832, divisé en deux parties, aborde des thématiques profondes qui nous invitent à réfléchir sur notre rapport à l'image, la quête de l'amour, l'acceptation de soi et la solitude.

Dans la première partie, l'autrice nous présente sa grande tante, à qui elle consacre ses journées en lui racontant des histoires. Cette grande tante possède un chat nommé Minette, que l'autrice n'apprécie guère en raison de ses griffures incessantes.
La seconde partie nous plonge dans la vie de Berthe de Maugis, une jeune femme considérée comme laide, qui vit recluse jusqu'à ce qu'Eugène de Valdolen lui propose plusieurs fois le mariage. Finalement, Berthe finit par accepter, mais sa vie prend un tournant inattendu lors de la visite de sa belle-sœur.
J'ai trouvé la préface très intéressante, Eugénie Foa ne se considère pas comme une autrice, mais plutôt comme une conteuse. Elle partage ses réflexions personnelles sur son identité en tant que femme qui écrit et exprime une certaines réticence à se revendiquer comme autrice.
Mon Dieu! que c'est ridicule, une femme auteur! Auteur! ce mot est effrayant; il renferme tant de choses, tant de pensées diverses, tant de réflexions, que pour rien au monde, je ne voudrais être appelée ainsi. Nommez-moi, si vous voulez, rêveuse, conteuse, causeuse, voire même radoteuse; mais auteur!
Être une autrice entraine des responsabilités, elle exprime une certaine distance du statue d'auteur qu'elle associe à une posture masculine prétentieuse et engagée dans des sphères de pouvoir qu'elle refuse. Selon Eugénie Foa un auteur c'est une figure imposante associée à des débats intellectuels, politique. Elle se compare à d'autres auteurs tels que Voltaire ou Rousseau et met en avant l'absurdité d'être mis sur le même niveau qu'eux.
Mais imaginez-vous donc, une femme auteur! A mon idée, c'est un être naturellement pédant, qui se croit beaucoup et d'une importance sans pareille ; qui parle haut, répond fort, discute, interrompt sans dire : excusez; un être qui se mêle de politique, raisonne budget, guerre, Pologne ; un être qui se donne des airs, qui dit mon livre, mon imprimeur, mon libraire! ne plus ne moins qu'un homme de lettres; un être qui porte la tête penchée, les cheveux en désordre de l'encre au bout des doigts, possible au front, qui sait, au nez? un être qui réfléchit qui compose, qui dit parfois des choses sensées. Et vous prétendriez que je suis un être comme celui-là... moi!... certes non, je vous assure ; je ne me fais nullement cet effet; si cela était, j'aurais peur, j'irais me cacher crainte de me voir, je fuirais le jour crainte de rencontrer mon ombre. Et parce qu'un libraire s'est avisé de mettre le mot auteur à la suite de mon nom, parce qu'il a réuni quelques feuillets épars, écrits dans un moment d'oisiveté, auxquels il a donné le nom pompeux de livre, vous seriez assez bon pour le croire sur parole! Quelle erreur!
Pour Eugénie Foa écrire c'est un acte de liberté d'exprimer ses pensées sans prétentions. Ses réflexions sont assez pertinent surtout quant on sait que à l'époque les femmes écrivaines étaient peu représentées et rarement reconnues dans le milieu littéraire.
Un livre ! mais pensez-y donc. Voltaire a fait des livres, Jean-Jacques Rousseau a fait des livres, M. de Châteaubriant a fait des livres; et vous voudriez qu'à l'instar de tous ces grands personnages, qui ont écrit des pages sublimes, j'allasse dire aussi, comme eux, mon livre! Ah! ce serait dérision.
J'écris, je raconte, j'invente; je dis tout ce qui me passe par la tête, je dis des choses que des gens raisonnables pourraient à coup sûr qualifier de rêveries, que moi j'appelle tout bonnement écrit, barbouillage, griffonnage. Je cause avec moi, quand je m'ennuie, parfois, comme les enfants, je me fais des contes pour m'endormir, et puis je mets tout cela sur du papier.
Ce que j'ai particulièrement aimé dans cette œuvre, c'est la seconde partie centrée sur Berthe. L'autrice nous immerge dans l'existence d'une jeune femme rejetée en raison de son apparence, qui ne correspond pas aux critères de beauté imposés par la société.
Les danses recommencèrent;au premier coup d'archet, un nombre infini de mains s'avancèrent vers toutes mes compagnes ; puis avec un mot, une prière, une demi-phrase, on les prenait, on les conduisait à la danse! toutes,toutes, excepté moi ! Alors je m'aperçus que je n'avais pas encore dansé, et je m'étonnai.
Vers le milieu de la soirée, une très jolie personne s'approcha de moi. — Vous ne dansez pas, me dit-elle. Je rougis, et ma rougeur mieux que des paroles lui en apprit la cause. — Je vais réparer cet oubli, ajouta -t-elle avec obligeance; puis elle s'avança vers un jeune homme. Il fallait voir comme j'écoutais avidement ce qu'elle allait dire à ce jeune homme : ce ne pouvait être que pour l'engager à me faire danser, et je m'en réjouissais à l'avance. Déjà même, arrondissant mon collier, relevant mes gants, admirant ma toilette, je sentais mes pieds pétiller sous moi; mon cœur battait, et sans trop savoir ce que je faisais, je me levai à demi, prête à faire un pas au devant de mon cavalier.
Alors j'entendis. — Ernest, va engager cette demoiselle. — Laquelle ?— Regarde bien... la plus laide d'ici.— Fi donc ! Pauline, c'est abuser de ma position de fils de la maison; cherche-lui un autre danseur que moi.— C'est qu'en vérité je désespère qu'un autre la veuille. Je n'ai pas de peine à le croire. — Elle est bien laide, je l'avoue ; mais enfin est-ce une raison pour ne pas danser ?— C'en est une au moins pour ne pas trouver de danseur.
— Tu n'es guère complaisant ce soir, mon frère. — Vraiment, ma sœur, c'est qu'aussi tu veux exiger de moi une chose qui est au-dessus de mes forces. Cette jeune fille n'a donc pas d'amies, de parentes, pour lui dire que sa place n'est pas dans un bal; que lorsqu'on est ainsi bâtie on reste chez soi, que l'éclat des lumières comme celui du grand jour ne lui convient pas, que l'ombre...—Chut, donc, Ernest; si elle t'entendait! — Bah ! elle ne croirait pas que c'est d'elle dont on parle; une femme : vois-tu, Pauline, même la plus laide, se fait toujours illusion.Pauvre fille, c'est bien triste d'être ainsi disgraciée, si jeune! elle me fait peine à voir.— Moi, sa vue me donne envie de rire.
Le personnage de Berthe est profondément attachant. J'ai ressenti une grande empathie pour elle, qui se livre à une introspection sur son corps, son apparence et sa place dans le monde. Elle est constamment mise à l'écart, jugée et méprisée, ce qui impacte gravement son estime de soi.
Eugénie! mon Dieu, que j'ai souffert la première fois que je suis allée dans le monde ! C'était au sortir de ma pension, j'avais quinze ans ; j'étais bien jeune, bien enfant pour mon âge, toutefois ce que j'éprouvai ce soir-là vint mûrir ma raison tout-à-coup , c'était comme si j'avais eu un bandeau sur mes yeux, et qu'on me l'eût arraché de force. Il n'y a que deux ans de cela; mais je pourrais vivre long-temps, bien long-temps, jamais cette soirée ne s'effacera de ma mémoire ; son souvenir pèse encore à mon cœur, il l'oppresse.
À travers Berthe, l'autrice illustre comment l'obsession de l'apparence peut occulter la beauté intérieure et les qualités intrinsèques de la jeune femme. Nous assistons à sa solitude et à son isolement, qui l'empêchent de nouer des relations amoureuses ou amicales. On ressent sa fragilité, ses doutes et sa lutte pour être acceptée, cherchant à se libérer de cette laideur que la société lui impose.
Et Berthe qui voyait cela, qui pensait, méfiante qu’elle était, que sa laideur en était cause, qu’Eugène, si beau, ne pouvait s’habituer à sa vue à elle, et qu’il était impossible que jamais elle pût lui plaire ; la pauvre enfant ! par un sentiment indéfinissable de délicatesse féminine, détournait la conversation chaque fois qu’il était question de mariage, à ce mot l’envie de pleurer la gagnait, elle courait s’enfermer dans sa chambre et elle pleurait.
La plume de l’autrice est à la fois addictive et poétique. Elle parvient à transmettre avec brio les émotions de son personnage. L'œuvre constitue une critique sociale universelle, où la question de l'image et du physique joue un rôle prépondérant, encore d'actualité à l'ère des réseaux sociaux.
Une lecture marquante par sa lucidité, sa tendresse tout en mettant en lumière les souffrances liées à l'apparence physique. Il souligne l'importance de s'accepter tel que l'on est.
Un récit puissant qui bouscule notre conception de la beauté et met en lumière les souffrances liées au regard social à travers le personnage de Berthe et ses propres doutes, l'autrice offre une critique toujours actuelle des injonctions faites aux femmes.
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